LA GRANDE CORDEE : GRIMPER LES PLUS HAUTS MONTS D'EUROPE AVEC L'AVE
12 grimpeurs à Teide
Samedi 1er mars
Le samedi fut consacré entièrement au transport. A l’aéroport Norte de Tenerife, le premier groupe récupère ses voitures. Le temps d’installer les sièges enfants et de trouver notre gîte à Las Galletas dans le sud de l’île et il est déjà vingt et une heure. Le deuxième groupe arrive deux heures plus tard. Nous n’étions pas dans le même avion car la prise des billets sur internet, un jour de hausse des prix, avait été compliqué.
Dimanche 2 mars
Le dimanche matin c’est le temps des courses et… De la piscine. Vers 14 heures nous nous mettons en route pour aller randonner sur les hauteurs de Los Christianos. Au départ d’Arona, nous commençons par descendre au fond d’un canyon. Nous remontons immédiatement sur l’autre flanc et deux heures durant nous cheminons, au milieu des cactus, vers le sommet du Conde une petite montagne à 1001 mètres d’altitude. C’est une balade facile qui permet de se remettre en forme et de monter Lou dans son sac à dos porte bébé. Là haut la vue est malheureusement bouchée, nous n’apercevons qu’à peine un bout de l’île voisine, la Gomera. Une heure de descente achèvera cette remise en jambe.
Lundi 3 mars
Nous allons grimper à Arico. Comme je l’avais vu sur un site web, nous trouvons le topo de la région au bar Central. Par contre le nombre de voies faciles est assez limité contrairement à ce que j’avais pu voir sur un autre site internet répertoriant toutes les falaises des Canaries. Nous allons malgré tout dans les gorges d’Arico qui possèdent quelques voies de tout niveau. Les gorges sont complètement asséchées, les voies d’escalade sont équipées sur sa rive gauche sur deux ou trois cent mètres de long. Le niveau est plutôt relevé mais quelques secteurs offrent des voies d’une difficulté plus abordables pour notre groupe. Le site est magnifique et le beau temps au rendez-vous même si les gorges seront par moment noyés dans les nuages.
Pendant que le groupe se met à grimper, je retourne à l’aéroport récupérer Christian et sa fille Nolwenn. Nous filons ensuite à la maison du parc national du Teide pour connaître les conditions météo au sommet du Teide. Il ne me fallut pas longtemps pour comprendre pourquoi mes nombreux mails envoyés le mois précédent étaient restés sans réponse. Après un très bref bonjour, sans même lever la tête, l’employée du parc me répondit par un signe de main m’indiquant un papier scotché sur la table et qui disait qu’en raison des conditions météorologiques le sentier Fosforo était fermé. Quand ouvrira-t-il ? Il faut revenir demain est la seule réponse que je peux obtenir de cette dame. Nous partîmes donc sans informations, juste un peu énervé devant le manque d’amabilité de notre interlocutrice.
Nous rejoignons donc à notre tour les gorges d’Arico pour rejoindre nos amis et finir la journée en grimpant. Nous rencontrons aussi quelques grimpeurs anglais, fins connaisseurs des falaises françaises.
Mardi 4 mars
Nous montons pour la première fois au pied du Teide. Le spectacle est fabuleux. La route coupe de gigantesques champs de lave. Sur un parking aménagé pour le point de vue, nous rencontrons Javier un des gardiens du parc. C’est le jour et la nuit avec sa collègue de Santa Cruz. Il répond à toutes nos questions avec passion. Il aime son travail, son parc et partage son amour du volcan. Il nous donne un topo des voies d’escalade que nous avions cherché en vain à Vilaflor ainsi qu’une carte du parc avec les sentiers de randonnée les plus intéressants. Il nous confirme aussi qu’il y a de la neige au sommet du Teide.
Nous choisissons donc d’aller grimper à la Catedral à quelques kilomètres de là. Nous garons nos voitures sur le grand parking près du parador (hôtel) d’où le point de vue sur l’ensemble de la Caldeira est magnifique. Nous ne résistons pas à faire, nous aussi, la photo que l’on voit sur toutes les cartes postales.
La Catedral est un promontoire rocheux de 120 à 150 de mètres de haut situé en contrebas du parking. Sa forme diffère selon les faces. Elle ressemble à une falaise classique sur une face mais sur une autre c’est une superposition de grosses boules déversantes, sur une autre c’est une coulée de lave. Par contre, il y a peu de voies équipées ou alors semblent elles assez dures. Après le pique nique, une partie d’entre nous décide d’aller randonner aux alentours avec les enfants pendant que les autres grimpent.
Avec Claude, nous partons dans une voie dont la première partie est équipé en artif. Nous grimpons une première longueur en libre (sans tirer sur les pitons en place mais les utilisant seulement pour notre assurance). Les écailles du rocher sont fragiles, nous grimpons sur des œufs. Au début de la deuxième longueur après quelques essais infructueux, je tire au clou, je passe le premier pas en artif puis continue en libre.
Pendant ce temps là les deux Guillaume, Christian, Isabelle et Nolwenn cherchent des voies à leur niveau. Malheureusement il n’y a rien d’équipé, à l’exception d’une voie déversante. Ils essaient donc sur un énorme bloc au pied de la Catedral mais le rocher n’est pas bon. Ils cherchent ailleurs et plus tard avec Claude nous entendons le bruit sourd d’un gros bloc qui s’écrase au sol. Guillaume n’est pas passé loin de la catastrophe. Le rocher lui est parti dans la main alors qu’il n’avait pas encore mis de dégaine. Il en est quitte pour une grosse frayeur et un beau bout de peau arraché sur le pouce.
Avec Claude nous continuons tranquillement. Il n’y a plus de pitons mais la voie devient assez facile et je termine en mettant de temps en temps un coinceur ou une sangle comme protection. Partis un peu tard et ne sachant pas si les rappels étaient équipés, nous décidons de redescendre à quelques mètres sous le sommet. Finalement nous trouverons deux points de rappel et nous serons en bas assez vite.
Le bilan de la journée est mitigé : avec Claude nous sommes satisfaits de notre escalade, les autres grimpeurs sont un peu frustrés et les randonneurs sont contents de leur promenade.
Mercredi 5 mars
Matinée culturelle et après-midi rando. Nous allons tous ensemble visiter la ville de la Laguna, classé au patrimoine de l’humanité par l’UNESCO. Promenade dans les ruelles colorées, montée au clocher de l’église de la Concepcion et… Passage au centre de soins pour montrer le pouce de Guillaume qui n’a toujours pas séché. Il en ressort avec une ravissante poupée.
L’après midi est consacré à une randonnée vers Santa Cruz del Carmen. Nous sommes dans le Nord de l’île et les pluies y sont plus abondantes même si aujourd’hui le temps est ensoleillé. Nous marchons à l’ombre d’une forêt primaire. Guillaume amateur éclairé de la flore, nous commente la visite et cueille les herbes pour la tisane du soir. Cette journée nous aura donné l’occasion de voir un aspect complètement différent de l’île.
Jeudi 6 mars
Le matin, coup de téléphone quotidien à la maison du parc national et il y a toujours trop de neige au sommet du Teide. Ce soir il faudra prendre une décision.
Pour ce jour, nous nous divisons en deux groupes. Les enfants partent avec Laurence et Ludovic voir les baleines et se reposer à la plage. Les autres partent dans une nouvelle randonnée au Guajara. C’est le troisième plus haut sommet de l’île et il culmine à 2717mètres sur l’arête de la caldeira qui ceinture les volcans.
C’est une randonnée assez facile de quelques heures qui nous permet de voir le Teide sous un nouvel angle et de découvrir un nouveau canyon aux couleurs variées. Des zones de bleues succèdent à la pierre volcanique d’un noir intense. De là haut nous prenons conscience de l’ampleur des coulées de lave.
Sur le sentier du retour, nous passons devant les falaises de los Caprichos. Il reste deux bonnes heures de soleil, nous nous précipitons aux voitures récupérer notre matériel d’escalade.
Il n’existe pas de topo du site aussi nous choisissons nos voies sur leurs aspects. Dans le secteur où nous sommes le niveau n’est pas trop ardu entre 5b et 6b et les lignes sont magnifiques. Si les difficultés ne sont pas toujours homogènes, il y a toujours un pas intéressants dans la longueur. Nous avons le temps d’escalader deux voies chacun avant que l’ocre de la roche s’enflamme dans les oranges et les roses magnifiques du coucher de soleil.
Nous mettrons peut être un topo en ligne des voies que nous avons réalisé sur notre site internet.
Vendredi 7 mars
Si le soleil depuis deux jours s’est bien installé sur l’île, il reste de la neige au sommet du Teide. Quelle épaisseur ? Difficile de le savoir mais de toute façon nous n’avons pas emmené de crampons. Nous élaborons donc notre plan B : nous partons avec Ludovic pour gravir le Pico Viejo, deuxième sommet de Ténérife à 3134 mètres. De là nous voyons si nous pouvons atteindre le cône du Teide et redescendre par l’autre versant. Le topo décrit une randonnée de 8 heures difficile. Si c’est possible le reste du groupe fera la même chose le lendemain pendant que l’on gardera les enfants.
Nous partons à 9 h 00, du parking à 2000 mètres d’altitude. Nous suivons de loin le tracé de la route, contournant une première bosse. Nous marchons dans un simili sous-bois, fait de petits pins suffisamment grand pour nous faire un peu d’ombre. Après 20 à 30 minutes de cette marche tranquille, il est temps de commencer à monter. Nous sortons de la zone boisée, la pente est encore douce. Nous progressons bientôt dans des combes désertiques. Tout n’est que n’est que minérale, pas l’ombre d’un végétal. Après une heure, nous atteignons un trou énorme. Ensuite la pente se raidit notablement, le sentier se perd dans des blocs de lave. Vers 11h30 nous sommes au bord de l’immense cratère de 800m de diamètre du Pico Viejo. C’est immense, c’est beau. Nous le contournons en partie par le plateau qui le borde au Sud. La neige est bien présente et recouvre une bonne partie du paysage mais il fait trop chaud pour que cela gêne notre marche.
Vers midi, nous nous accordons une petite pause pique-nique. Le cône du Teide de notre côté n’a pas de neige, cela semble possible. Il nous reste 600 mètres de dénivelée et le sommet parait tout proche.
La pente se redresse encore, nous cheminons maintenant dans des coulées de lave, au milieu du chaos. Il n’y a plus de sentier, mais seulement des cairns (tas de pierres) pour nous indiquer la direction. L’épaisseur de neige est plus importante et nous mouille un peu les pieds. L’altitude se fait sentir, je m’arrête plus souvent, pas longtemps mais régulièrement. Ludovic, lui, est en pleine forme.
Après quelques dizaines de mètres d’une pente de neige, nous atteignons le sentier qui contourne le sommet pour rejoindre le téléphérique et l’autre versant. Nous ne le prenons pas tout de suite, d’abord nous allons monter tout droit au sommet par une sente légèrement marqué. La première partie passe dans un pierrier de petits cailloux qui glissent sous nos pas. La progression n’est pas aisée mais nous atteignons vite une coulée de lave moins tortueuse que les précédentes. Elle nous mène en quelques minutes à notre objectif au milieu de quelques fumerolles sulfureuses.
A 14h nous sortons les appareils photos et le drapeau de la Grande cordée. Nous sommes sur le toit de l’Espagne à 3718 mètres. Le cratère du Teide est tout petit en comparaison de celui du Viejo. La vue est magnifique : le Guajara, la Catedral, la caldeira dans son intégralité et tout en bas, une mer de nuage au-dessus de la mer.
Après avoir profité de la vue, nous redescendons par le même chemin. Nous empruntons le sentier enneigé qui contourne le cône pour gagner le téléphérique. Nous ne faisons que passer. Il fonctionne mais les gens ne viennent que pour la vue, sur ce versant, la neige de la pente terminale les empêche d’aller plus haut. Nous continuons notre route, le chemin est moins escarpé, plus facile mais aussi plus enneigé. Le panorama s’ouvre sur un désert minéral que nous n’avions pas pu encore apercevoir. Nous faisons une pause au refuge, jetons un coup d’œil à l’intérieur. Il a été refait à neuf il y a peu et il semble vraiment très bien.
Bientôt la neige disparaît et le sentier devient vraiment facile. Par contre il est très long. Vers 16h00, nous sommes au pied du Teide, nous prenons un sentier qui part au plus court vers le départ du téléphérique. Malheureusement, c’est une boucle qui nous ramène au point de départ. C’était inscrit sur la carte que nous n’avons pas voulu sortir. Une demi-heure de plus, nous n’étions plus à cela près. Pour retrouver la route nous passons à côté de los Huevos. Ce sont des blocs de roche plus ou moins volumineux qui ont été expulsés par le volcan et qui sont plantés de ci de là dans le désert. Il est aux alentours de 17h lorsque nous rejoignons un parking. Cela fait huit heures que nous marchons, nous avons 1700 mètres de dénivelée positive dans les jambes. Le topo disait vrai, c’est une belle rando mais pas donnée. Nous faisons du stop et quelques minutes plus tard nous sommes emmenées par un couple de hongrois. Cela me permettra de me souvenir que la deuxième étape de la grande cordée était passée par la Hongrie et de les remercier d’un köszönöm triomphant lorsqu’ils nous déposent au parador.
Nous retrouvons nos amis au site d’escalade de los Caprichos où ils grimpent au soleil après avoir le matin fait une randonnée au volcan de la Botija. Lorsque le soleil se couche, nous allons récupérer notre voiture au parking de notre départ à quelques kilomètres de là.
Samedi 8 mars
Le deuxième groupe part à la conquête du Teide pendant que nous partons avec Ludovic et les filles passer la journée à la plage et faire une promenade à dos d’ânes. Ils quittent le parking à la même heure que nous. Moins rapide que nous ils sont quand même dans les temps. A la mi-journée, ils piquent nique au sommet du Pico Viejo. Puis le groupe repart, chacun à son rythme vers le Teide. Guillaume Gire qui est asmathique sent bientôt qu’il est temps pour lui de renoncer. Il redescend avec Audrey. Alors que les premiers sont à une heure du sommet, Isabelle chute et sa tête touche un bloc de lave. Elle saigne au-dessus de l’arcade et se met à paniquer, s’imagine gravement blessée. Claude et Laurence viennent à son secours immédiatement, bientôt rejoint par Christian et l’autre Guillaume. Ils nettoient la plaie et essaie de la calmer. Malgré son expérience de la montagne et son calme habituel, celle-ci mettra plus d’une heure à recouvrer ses esprits.
Finalement tout le monde reprend le chemin du retour doucement mais sûrement. Nos amis reviennent au gîte vers 21h00. Isabelle n’a rien qu’une petite plaie au crâne. Plus de peur que de mal. Elle se sent coupable d’avoir fait redescendre tout le monde et si certains sont un peu frustrés de s’être arrêté en si bon chemin ils ne le montrent pas. Cela fait partie des aléas de la vie.
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